jeudi 1 novembre 2012

LE VILLAGE NÈGRE : EXTRAIT 6




Les grandes vacances

          Les vacances scolaires étaient fixées du 1er juillet au 15 septembre.
Le dernier jour d’école était un peu particulier. Le matin était consacré au nettoyage et au rangement. On déqueugnait* toute la classe, on lavait les tables, les encriers de porcelaine devaient être blancs avant de les ranger dans l’armoire à coté des porte-plumes et des buvards « chicorée leroux ». Les plumes « la gauloise » ou « sergent major » étaient triées, les béquées* allaient à la poubelle. On avait le droit de rapporter définitivement les cahiers du jour à la maison.
L’après-midi connaissait la récréation la plus longue de toute l’année scolaire, même si les derniers temps, les maîtres et les maîtresses avaient largement doublé le nombre de leurs allers- retours selon une ligne droite toujours parfaite. Après un « au revoir » moitié joyeux, moitié mélancolique au maître, la ruée vers les vacances était ponctuée du traditionnel :
 
« Gai gai l’écolier c’est demain les vacances
« Gai gai l’écolier c’est demain que j’partirai
« J’irai chez ma grand-mère
« Chercher des pommes de terre
« Des pommes de terre pourries
« Rognées par les souris
« Gai gai ….. »
 
Au « village nègre », personne n’allait chez sa grand-mère.
Chez nous, le premier jour était toujours programmé :  « t’as les cheveux qui rebiquent, t’iras au coiffeur*, gamin, tu diras surtout bien court et dégagé sur les oreilles ! »
Tout petit, c’était le Pélo Burel de la rue Nicolas Leblanc, le papa d’Annie (encore une bonne-amie), qui rendait ce service, il maniait la tondeuse mécanique aussi bien que le rabot de menuisier à l’usine.
Un peu plus grand, maman m’envoyait à Chavelot, chez le coiffeur  habituel de mon voisin Roger, certainement le moins cher de tout le secteur et qui ne connaissait qu’une seule coupe : la brosse . Pour cela il fallait rejoindre le haut du village par le début du chemin de crasse et la côte du père Cossin, prendre à droite pour traverser tout le plateau et redescendre vers le canal, derrière l’église. Le coiffeur devenait une véritable corvée, surtout que pour revenir, il fallait couper à travers champs pour éviter les éventuelles rencontres avec les « chavelot » qui s’étaient soit-disant battus à coups de fronde avec les plus grands du village nègre, Pampoine et compagnie, derrière le remblai* du lavoir.
 
Les journées du mois d’août étaient longues. Je me retrouvais parfois tout seul dans le quartier et la différence d’âge avec mes sœurs ne permettait que peu de jeux en commun.
Et quand je disais que je m’ennuyais, j’avais droit toujours à la même réponse : « enlève ta chemise et danse dessus ! ». Je n’ai jamais compris la signification de cette phrase passe partout. J’aurais du essayer, peut-être que j’aurais eu la solution.
 
Dès la fin août, le quartier reprenait un peu de vie, on offrait à sa copine du sent-bon*, qu’on avait acheté à la fête de Thaon, chacun racontait ou inventait ses exploits de vacances, on dessinait à nouveau de larges cercles pour des « je déclare la guerre » interminables, « l’épervier » reprenait ses droits, le « palais royal » permettait de nous conforter dans l’idée que rien n’avait changé, les garçons faisaient plaisir aux filles en participant à la marelle, les filles rendaient la pareille en jouant aux foot avec les garçons. Tout était redevenu beau, trop beau même, car on remarquait déjà depuis quelques jours les rassemblements d’hirondelles de plus en plus nombreuses sur les fils électriques surplombant le quartier.
 
Fin août était aussi le temps des récoltes et des conserves. Dans une ambiance par forcément réjouissante, j’aidais la famille à la cueillette des petits pois et des haricots verts. Les baûgeottes étaient longues à se remplir et une fois le travail accompli, commençait alors la préparation des conserves. L’ancienne table de cuisine était installée dans la cour, les vieux journaux étaient dépliés, les voisines parfois s’asseyaient avec nous, chacun plongeait alors la main dans la baûgeotte pour retirer une poignée de haricots encore chauds du soleil de l’après-midi. Pour éviter les fils, on prenait soin de casser les extrémités vers l’intérieur et surtout couper en deux les plus gros. « A partir de quelle longueur un haricot est gros ? ». Il n’y avait jamais de réponse car le couarôge avait commencé.
Ecosser les p’tits pois était un travail plus délicat car en plus d’avoir des bons ongles, il fallait être habile pour ne pas les faire trisser* partout.
Le lendemain les légumes devaient être mis en conserve. Pour des raisons économiques on mettait les p’tits pois en bouteilles. C’était alors tout un rituel. On s’installait sur la première marche des escaliers et après un lavage énergique on posait la bouteille, entre les jambes, sur un torchon ou une serpillière. La main gauche servant d’entonnoir, les p’tits pois étaient pris au piège. La bouteille n’était jamais remplie jusqu’au goulot car il fallait verser un peu d’eau. Toutes les trente secondes on tapait le cul (de la bouteille) pour bien tasser l’ensemble. Des bouchons spéciaux étaient maintenus par des fils de fer comme pour les bouteilles de mousseux gagnées à la fête de Thaon. Maman était la seule habilitée à mettre les conserves dans la lessiveuse qui était ensuite portée par les hommes sur la cuisinière préchauffée au bois. On ajustait le tuyau central, puis on versait de l’eau par cuvettes entières. Le couvercle était maintenu par deux ou trois briques et par une ficelle nouée symboliquement aux poignées : une véritable machine à eau chaude. La stérilisation pouvait alors commencer.
 
Les conserves de nos propres légumes étaient financièrement un grand avantage. Presque tout le monde au « village nègre » procédait ainsi.

Extrait du livre 1


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