jeudi 1 novembre 2012

LE VILLAGE NÈGRE : EXTRAIT 8




Après quatre heures et demie
 
… Une fois les ouvriers rentrés et leur bécane rangée, la rue était à nous. Mimi allait chercher une corde à maçon, une vraie corde, épaisse et solide, très longue, qu’il fallait tenir à deux mains pour la faire tourner et les filles se retrouvaient à sauter à l’intérieur. A « huile »  le mouvement était lent, les mollets rosés, parés de socquettes blanches, attiraient les regards. A « vinaigre » le mouvement s’accélérait et les petites jupes plissées se soulevaient pour le plaisir des garçons.
          Elles étaient mignonnes nos petites copines du quartier. Et puis, en sautant, elles chantaient, improvisant des comptines, qui nouaient ou dénouaient les liens avec l’un ou l’autre.
          Assis sur le bord du trottoir, j’aurais voulu qu’elles ne s’arrêtent jamais, comme suspendues entre ciel et terre.
          Lorsque les filles étaient fatiguées, nous proposions un autre jeu.
          « Un, deux, trois, soleil ! », appuyé contre la palissade, je criais en traînant sur chaque mot, et en accélérant sur le dernier pour pouvoir me retourner et surprendre qui je voulais. « Roger t’as bougé, retourne à ta place ! », Pépée était alors en équilibre sur une jambe, écartant les bras comme un oiseau, Jacques faisait presque le grand écart, la bouche grande ouverte, Muguette était à peine sortie de sa position d’origine, les plus petites, Georgette, Renée, Marylène, Claudine, toutes très bavardes, étaient rapidement éliminées puisqu’il ne fallait pas parler. Quant à Mimi, elle était immobile, dans sa jupe bleu marine et dans son pull tricoté, qui laissait entrevoir une adolescence bientôt naissante. Elle avait les cheveux coiffés « à la Jeanne d’Arc » et son regard bougeait à peine. Je la voyais fragile. Que pouvait-elle craindre ? Puisque, ce soir là encore, c’est elle qui gagnerait.   
          A « maman, je peux ? », où il s’agissait de s’approcher le plus possible de « la mère », nous reprenions les mêmes positions et les mêmes influences. Quand la Pépée collait, face à tout le groupe, elle se réjouissait de pouvoir nous dominer pendant quelques minutes, de pouvoir faire ou défaire les alliances, les amitiés, les soupçons et les jalousies :
« Maman je peux ?
- Oui
- Combien ?
- Deux p’tits pas de souris !»
… Et Claude avançait péniblement. Il aurait tant voulu avancer plus vite, pour se retrouver à coté d’elle. Mais elle était savoureusement cruelle et au tour suivant, la sanction tombait :
« Un grand pas en arrière !»
Pépée faisait beaucoup d’efforts pour essayer d’influencer le groupe. Elle avait un petit coté intrigant, qui faisait d’elle un passage obligé de toutes nos histoires. Elle adorait recevoir les confidences, qui presque toujours étaient transformées en secret de polichinelle. Nous l’aimions bien la Pépée, c’était notre journal du cœur.
Quand Muguette amenait les balles, on poussait jusqu’au lavoir pour avoir suffisamment de place. On faisait la queue derrière celle ou celui qui lançait en cadence la balle contre le mur et on chantait :
« Partie simple,
De l’absinthe
Sans bouger,
Sans rire,
Sans parler,
D’un pied,
De l’autre,
D’une main,
De l’autre,
Tapette,
Double tapette,
Le rouleau,
Le moyen,
Et le plus grand »
Il fallait aller jusqu’au bout en mimant chaque phrase. Les filles étaient très douées à ce jeu et les garçons assez nuls.
          C’est souvent à ce moment là, que le « bec de poule » rentrait de l’école. Il avait, comme presque tous les jours, été puni jusqu’à six heures. Les punitions étaient faites en étude dans la classe du directeur, monsieur Vernier, dont la spécialité était les coups de règle sur le bout des doigts. « Bec de poule » disait qu’il n’avait pas eu mal et que de toute façon le dirlo était un con. Il sortait alors, de son sac d’école, trois creûchottes* attrapées dans l’horticole pour les  échanger contre le résultat des additions à virgule. A l’apparition des grenouilles, les filles poussaient des cris. L’effet étant réussi, il repartait avec quelques jurons, car, à coup sûr, il allait prendre une rôpée* par sa mère, la Marie.
 
« Le village nègre » livre 1



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