lundi 5 novembre 2012

LE BAR ESPAGNOL



Au siècle dernier, trois générations se sont succédé au "Grand bar espagnol" de la rue d'Alsace de Thaon. Un bistrot, un vrai où pour peu d'argent on buvait un excellent p'tit noir ou encore une "rousse" à la pression.
C'est en 1913 qu'Antoine Colom achète au maroquinier-bourrelier Villemin l'ancienne ferme du 89 rue d'Alsace afin d'établir dans la grange une salle de café. Originaire d'Espagne, Antoine Colom n'a aucune peine à trouver un vocable au nouveau bistrot.
Cette acquisition ne fut pas aussi simple que ça. Le directeur de la BTT, Armand Lederlin, très influent à Thaon, était farouchement anti-alcoolique. Il voulu s'opposer à l'installation du nouveau débit de boisson. Il surenchérit donc à l'offre d'Antoine. Mais le bourrelier Villemin était un dur à cuire et ne céda pas au "capitalisme". Il préféra vendre sa ferme moins cher.
En 1928 c'est Marie Colom, fille du cafetier qui reprend l'établissement après avoir épousé François Llado.
En 1951, dès l'âge de 14 ans, Tony met la main à la pâte. Il épousera plus tard Monique, la fille du coiffeur Charles, de la rue de Lorraine. De leur union naquirent deux filles.


Jusqu'au départ en retraite de Tony, il y a quelques années, rien n'avait changé: les chaises en bois, les supports de table en fonte, la murette de brique et la photo derrière le comptoir d'Antoine Colom, son épouse et sa fille, devant le bistrot en 1913.
Insolite, cette vitrine composée depuis des lustres de fruits et légumes, avec au centre une balance Roberval.
La présence des primeurs s'explique encore par un conflit avec le même Armand Lederlin. Ce dernier, s'appuyant sur un texte qui disait "qu'un étranger ne pouvait tenir un débit de boisson en zone désarmée", pensait se débarasser d'Antoine Colom. Malin, Antoine détourna le tout en vendant des fruits et légumes pour vivre. Après la guerre, le bistrot reprit ses droits, mais tradition oblige, Tony et monique Llado continuèrent à vendre des oranges, des dattes, des cacahuettes, des noix, etc ! 


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Le bar espagnol extrait « Le village nègre » livre 1
(…) Chaque soir, à partir de cinq heures et demi, l’animation devenait intense. Quelques minutes après le gueulard de la BTT, les premiers cyclistes apparaissaient au bout de la rue d’Alsace, les pédaliers grinçaient, les freins couinaient et les vélos s’entassaient debout ou couchés, occupant aussi le trottoir d’en face, le long de la pharmacie Stumpf, débordant même sur les pavés de la route nationale. Le trafic de la RN 57, reliant Metz à Lausanne, connaissait sa plus grosse perturbation au niveau du « bar espagnol », mais aucune disposition n’était prise par la police municipale, occupée à verbaliser un peu plus haut, au « raccordement ». Et que dire le jour de la paie de la première ou de la deuxième quinzaine !
(…) Au « bar espagnol » on entrait et on sortait plus facilement qu’à l’église. Les grandes tables rectangulaires étaient alignées et accolées les unes aux autres. Les fumées épaisses des cigarettes, en circonvolutions bleutées, ne pouvaient s’échapper que par quelques courants d’air. Les jours d’affluence on y voyait goutte. Sous la baie vitrée, il y avait un étal de produits frais. Une balance roberval émergeait au milieu des fruits de saison. Les cacahuètes y étaient vendues au détail.    
Autour du zinc, chacun venait aux nouvelles avec ou sans journal, certains commentaient les résultats de l’E.S.T., « …qu’une bande de faignants… », d’autres analysaient l’arrivée du Tour de France affichée derrière le comptoir, le Lorrain Gilbert Bauvin avait gagné à Bayonne et avait pris la deuxième place au classement général, tout le monde trinquait à la santé du voisin de comptoir qui remettait aussitôt une nouvelle tournée. La mousse des demis ou des bocks de bière se répandait abondamment sur le zinc en se mélangeant aux trop-pleins des canons* de rouge ou de blanc sec. D’un geste éclair, un coup de torchon, couleur serpillière, asséchait provisoirement le comptoir, laissant juste une odeur de délavé et de vinasse. (…) 



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