lundi 5 novembre 2012

UNE HISTOIRE DE LA B.T.T. partie 2



HISTOIRE DE LA B.T.T.  (suite)
 
D’après l’allocution prononcée le 1er Juillet 1972 par M. Michel Bureau à 1'occasion du centenaire de la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon.

Pour répondre à un marché en expansion, la Société étend ses participations à de nombreux établissements : citons notamment, dans la région parisienne : Puteaux, La Courneuve, Saint Denis, Gennevilliers; dans les Vosges : Saint-Dié; dans le Nord : Roubaix, Haubourdin, Don, Cambrai, Saint-Quentin; en Normandie, nous 1'avons vu : Gisors, Notre-Dame-de-Bondeville, Darnetal; dans la région Rhône-Loire enfin : Roanne, Villefranche.
Pendant cette période, 1'impression n'occupe qu'une place insignifiante dans nos activités. Certains pensent en effet que cette spécialité, jusque-là apanage des Alsaciens, ne peut survivre à une transplantation hors de cette province. Tel n'est pas 1'avis des industriels vosgiens, qui estiment, quant à eux, indispensable 1'installation d'un atelier d'impression dans la région. Pourquoi? Pour faire imprimer leurs produits sur le territoire national afin d'éviter les droits d'exportation temporaire ou 1'importation d’imprimés anglais et allemands. En 1880, un industriel alsacien, M. Eugène Boeringer, imprimeur à Cernay franchit le col de Bussang et crée à Epinal une première usine d'impression. Pour sa part, la BTT s'oriente résolument vers cette activité. En 1903, elle compte déjà dix machines à imprimer.
L’activité nationale va être alors bouleversée par la guerre. La période 1914-1918 est pour Thaon une épreuve très cruelle. L'usine, a elle seule, perd 240 membres de son personnel. La pénurie s'installe : pénurie de nourriture qui oblige Paul Lederlin a faire défricher des terres incultes pour y semer des pommes de terre, pénurie de pain, pénurie de charbon aussi qui oblige les chaudières à fonctionner en partie au bois.
L'usine ne chôme pas pour autant.  Si les hommes valides sont au combat, les femmes bien souvent les remplacent. On travaille pour la défense nationale. 13 millions de masques à gaz sont alors fabriqués, où la Cellophane, signalons-le, trouve une application inattendue. On fabrique aussi des tissus huilés puisque les traitements imperméables n'existaient pas encore. C’est une période de labeur acharné, de privations, de deuils.
Thaon n'est pas envahie, fort heureusement.  C’est un lieu de passage des troupes qui se battent à moins de 30 km. Thaon connaît une renommée particulière. Dans toute la France, les voix de l’armée française célèbrent sa femme à barbe. C'est une concurrence que nous acceptons bien volontiers pour redonner un peu de gaieté à un peuple éprouvé.
En 1917, le capital social de la société passe de 4 à 14 millions, en partie à cause de la dépréciation de la monnaie.
L'armistice redonne 1'Alsace et la Lorraine à la France. Le potentiel de notre industrie cotonnière s'en trouve ainsi accru d'un tiers. La concurrence exercée par les entreprises alsaciennes d'ennoblissement textile va alors s'amplifier. La BTT doit savoir en tenir compte.
En 1919, l’usine retrouve presque son effectif d'avant-guerre, soit 3000 personnes. La reconversion de l’économie de guerre en économie de paix ne va pas se faire sans heurts.
Le marché colonial s'est encore développé. Il en vient à absorber 60 à 70% des productions de l’usine dans toutes les branches : blanc, teinture et impression. Thaon est 1'un des premiers chargeurs des lignes d'Afrique et d’Extrême-Orient. Pour répondre à l’appel d'un marché prometteur, il faut encore investir : en 1923, est mise en route une installation moderne et puissante à la place de l’ancien blanchiment; en 1924-25, c'est la construction d'une ligne continue de teinture en noir d'aniline par oxydation; plus tard en 1930, tout le matériel de teinture et d’impression est regroupé dans un vaste bâtiment. La Société se développe un peu partout en France, en Belgique, en Allemagne. C’est l’euphorie, 1'optimisme, dans le climat d'une France réunifiée et confiante dans son avenir.
La commune de Thaon bénéficie de nouvelles modernisations : entretien des routes, plantation d'arbres, travaux de voirie, par exemple. En 1926, la ville est alimentée en eau potable à la suite d'un projet de M. Lederlin.
La Société s'implante en Alsace et prend le contrôle de la Société de blanchiment et de teinture « Sharp and Sons » à Kingersheim, près de Mulhouse. Elle s'implante en Allemagne où elle acquiert en 1928 la Manufacture Keochliny Baumgartner et Cie à Loerrach dans la province de Bade. Cette entreprise, aujourd’hui plus que bicentenaire, est le premier imprimeur d'Allemagne Fédérale. Par ailleurs, en 1929, la BTT absorbe les usines d'Epinal, Amfreville-la-Mivoie, Deville-lès-Rouen et Bolbec de la Société des Impressions des Vosges et de Normandie. Ce sera plus tard le noyau d'un groupe de vente en fini qui aboutira à la Centrale des Ventes Textiles et, plus tard, à Texunion. En 1930, ce sera 1'intervention dans 1'industrie de la soie artificielle avec une importante prise de participation dans la Soie d'Argenteuil et dans 1'industrie de 1'enduction par la prise de contrôle des Etablissements Maréchal.
Cette euphorie sera malheureusement de courte durée. En 1929 éclate la fameuse crise qui va entraîner un chômage mondial sans précédent. La crise, née aux Etats-Unis, gagne 1'Europe.
La BTT est d'autant plus affectée par ces difficultés que ses importants investissements lut posent de sérieux problèmes de trésorerie. C’est alors qu'interviennent les établissements Gillet & Fils qui, après avoir fourni les concours nécessaires, entreprennent un regroupement industriel et commercial.
Ce regroupement, commencé par la création de la Société Nouvelle de la Blanchisserie et Teinturerie de Thaon, issue de la fusion de la BTT et de certaines de ses filiales, est achevé en 1935 par 1'intégration des exploitations, en France, de teinture, impressions et apprêts de Gillet & Fils, pour aboutir à la Société Gillet-Thaon.
Que représentent, à 1'époque, les Etablissements Gillet & Fils? C'est une entreprise lyonnaise, fondée vers 1830 par François Gillet, qui avait crée, à Lyon, une entreprise de teinture en noir de la soie. L'affaire s'était alors rapidement étendue dans Lyon, à Izieux et dans la région Rhône-Loire; elle avait même entrepris des développements de ses activités de teinture proprement dite a 1'étranger, soit en criant des usines, soit en prenant des participations en Italie, Russie, Allemagne, Autriche, Suisse, Angleterre, Brésil, Argentine. Pour obtenir des produits spécifiques utilisé en teinture, fut fondée, par Joseph Gillet, la Société des Produits Chimiques Gillet dont 1'activité était orientée vers les produits tinctoriaux.  Cette Socijti est devenue, par la suite, Progil.
Gillet & Fils s’étaient également intéressés aux textiles artificiels puis aux fibres synthétiques.
De 1935 à la seconde guerre mondiale, ce sera pour Gillet-Thaon, comme pour toute l’industrie textile, une période d'incertitude internationale avec la montée des périls, de remise en ordre sur le plan financier et de difficultés sociales créées par la crise économique.
Dans le domaine des fabrications, du nouveau cependant.  C'est 1'apparition des fibres artificielles. C'est le développement de la Fibranne qui est, comme vous le savez, la réduction en fibres courtes du filament continu de rayonne. La BTT, bien sûr, s’y intéresse tout en poursuivant ses activités classiques dirigées pour l’essentiel vers 1'Outre-mer.
Dans une Europe en crise, la Seconde Guerre mondiale éclate. Une partie du personnel est mobilisée. L'usine est placée sous 1'autorité militaire de la Poudrerie Nationale de Vonges, en Côte-d'Or. Elle reçoit d'importantes commandes de linters à blanchir pour la poudrerie d'Angoulême. A la teinturerie, on met au point un procédé de teinture en cachou végétal à la continue pour les chemises et les toiles de tente de 1'intendance.
Les marchés civils ne sont pas perdus pour autant, avec un net ralentissement, ce qui se comprend.  L'usine subit aussi les effets de la débâcle. Une partie du personnel se retrouve dans la région lyonnaise, recueillie par d'autres usines du Groupe. Le siège de la Société Gillet-Thaon doit être transféré à 1'usine d'Izieux, près de Saint-Etienne.  Ces années sont pour Thaon celles que bien des Français ont connues. Il faut essayer de vivre avec les moyens du bord. Certains d'entre vous se souviennent sans doute de 1'époque où le petit coupon de tissu taré avait rang de monnaie forte et permettait, la bicyclette aidant, de mettre un peu de beurre dans les épinards du ravitaillement.
Pourtant, encore une fois, il faut innover.  La pénurie est un aiguillon remarquable pour 1'esprit créatif. En 1941, se pose un problème de teinture de lingerie en bleu ciel grand teint pour lequel les colorants habituels font défaut. Un de nos ingénieurs chimistes, M. Bomont, aujourd’hui retraité et présent parmi nous, met au point un procédé de teinture en deux phases sur foulard en colorants de cuve finement dispersé suivie de la mise en solution sur la fibre par foulardage en hydrosulfite de soude et vaporisage. C'est, nombre d'entre vous 1'auront reconnu, le procédé déposé sous la marque « Thaonfix » et pour lequel un pli cacheté est déposé.
Heureusement, ce temps d’épreuves va prendre fin.  Thaon est libéré en Septembre 1944 par la VIIe armée américaine. Pendant cette période de chômage, toute la charpente métallique du grand bâtiment de la nouvelle teinture s'effondre sous le poids d'une couche de neige exceptionnelle. Il n’y a, par miracle, aucune victime, mais les dégâts matériels sont très lourds.
1945... 1'économie française est écrasée. Ceux qui reviennent à Thaon découvrent l’affligeant spectacle d'une usine réduite longtemps à 1'inactivité. Fort heureusement, si je puis dire, les moyens de production sont toujours là, les maisons ouvrières sont debout.
Partout les stocks sont épuisés. Le travail reprend rapidement. De plus, les usines de la région de Mulhouse ont beaucoup souffert et leur remise en marche sera lente.
Il faut tout remettre en état. En I947, le bâtiment de la teinture est reconstruit. L'atelier d'impression est agrandi et permet d'aborder tous les genres de fabrications y compris 1'ameublement et les tissus spécifiques de 1'Afrique Noire.
C'est aussi, comme toute après-guerre, une période d'euphorie où 1'on voit parfois trop grand, où 1'on veut aller trop vite. L'industrie textile française va se trouver en état de suréquipement ce qui va provoquer une nouvelle crise.
La situation de notre empire colonial se délite. En 1954, la perte de 1'Indochine va provoquer une chute des ventes que 1'on peut estimer pour la BTT à 2500 hectomètres par jour. La guerre d’Algérie prend le relais et aggrave cette situation. L'indépendance du Maroc et de la Tunisie achève pour Thaon la perte des marchés d'Afrique du Nord.
Pour leur part, les pays d'Afrique Noire devenus maîtres de leurs relations commerciales extérieures s'ouvrent à la concurrence internationale; leurs achats textiles en France en pâtissent gravement.  Ainsi les débouchés coloniaux qui représentaient 70 % de l’activité de Thaon ne cessent de s'amenuiser pour disparaître totalement en 1966.
Les modifications de structures intervenues chez la Société Gillet-Thaon en 1963 amènent alors à inclure 1'établissement de Thaon dans un regroupement des principales usines de manutention implantées dans les Vosges et en Alsace. La Société Tival, créée à 1'époque, reprend, peu de temps après, en 1966, la dénomination de Blanchisserie et Teinturerie de Thaon. Cette Société bien connue sous le sigle BTT et la Société Gillet-Thaon constituent les deux principales filiales françaises de transformation des textiles de Pricel.
La fermeture des marches d'Outre-mer a rendu vitale pour Thaon la recherche de nouveaux débouches. La reconversion de 1'usine doit être radicale; elle le sera.
La formation du Marché commun européen offre à cet égard à 1'établissement des perspectives à sa taille. Thaon va les exploiter avec détermination en dirigeant son action vers la clientèle française et européenne, vers le traitement de nouveaux produits.
 Le marché européen est totalement différent de ceux des anciens marchés coloniaux traditionnels. L'innovation technique y rivalise de prouesses pour abaisser les coûts de fabrication, améliorer sans cesse la qualité des produits et des services. L'innovation artistique y est indispensable aussi pour sonder, pour devancer même les appels d'une demande de plus en plus évolutive. Pour Thaon, il faut désormais produire et vendre davantage d’articles hautement élaborés et plus diversifiés.
Conscient du caractère impératif de ces objectifs, 1'établissement de Thaon met tout en œuvre pour atteindre ceux-ci dans le minimum de temps. La tâche est importante mais 1'esprit d'invention ne manque pas, non plus que la volonté d'aboutir.
Les moyens techniques de 1'usine sont adaptés ou créés pour répondre pleinement aux nouvelles orientations commerciales. Les structures mêmes de 1'établissement sont réformées fondamentalement avec la création de divisions spécialisées aptes à offrir toute la souplesse nécessaire à l’exécution des nouveaux services attendus de la clientèle. L'une de ces divisions prend un rapide développement; i1 s'agit de celle a qui sont confiés les traitements d'ennoblissement des tissus de fibres synthétiques pures ou mélangées où Thaon fait une percée spectaculaire. Une autre, exploitant un nouveau procédé de blanchiment mis au point qui ménage particulièrement les fibres cellulosiques, permet à 1'usine de prendre une place de choix sur le marché du linge de lit; sa marque « Blangil » acquiert vite une audience internationale. D'autres divisions regroupent respectivement les activités du secteur impression, du blanchiment proprement dit, de la teinture et de la confection.
Pendant tout ce temps, 1'usine de Thaon n'a cessé de se tenir à la pointe de 1'innovation technique, qu'il s'agisse de 1'utilisation de procédés nouveaux ou de matériels plus performants.
Pour les procédés, 1'établissement de Thaon a été, bien sûr, parmi les premiers à exploiter les ressources offertes par 1'emploi des résines. Celles-ci, en conférant aux tissus cellulosiques traités des finissages permanents et des propriétés particulières d'infroissabilité, séchage rapide, stabilité dimensionnelle, imperméabilité, etc., ont permis à la fibre de coton, notamment, de conserver une place encore très appréciable sur le marché, malgré la concurrence des synthétiques.
Bien sûr, aussi, 1'usine a-t-elle fait pleinement bénéficier sa clientèle des progrès réalisés par 1'industrie des matures colorantes dont les produits nouveaux n’ont cessé de s’améliorer en permettant d'allier à la vivacité des couleurs une meilleure résistance aux agents de dégradation.
Pour les matériels, 1'usine de Thaon s'est préoccupée simultanément de disposer des techniques d'avant-garde pour toutes ses fabrications. C'est ainsi qu'elle s'est dotée des équipements les plus perfectionnés pour être à même de satisfaire aux exigences des cahiers des charges des produits destinés aux marchés administratifs et notamment à ceux de 1'intendance dont 1'usine de Thaon s'honore d’être le plus ancien et le principal prestataire. C'est ainsi également que dans le domaine de 1'impression, la recherche persévérante de nouveautés et de traitements plus riches a conduit à 1'adoption rapide des techniques les plus évoluées de photogravure et d'impression au cadre rotatif; cette action délibérée a permis à Thaon d'accéder à une position de premier plan sur le marché de 1'impression.



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